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Le sixième doigt du panda : un faux pouce qui le restera...

Publié le : 6 juillet 2022  |  Auteur : Jérôme POUILLE  |  Source : Nature

 

Le pseudo-pouce ou sixième doigt du panda géant est certainement l'adaptation anatomique la plus connue qu'il ait adopté pour saisir les tiges et feuilles de bambous dont il se nourrit.

On parle de pseudo-pouce car il n'est pas complètement développé au point de former un véritable doigt opposé aux cinq autres. Il consiste en réalité en un agrandissement de l'os sésamoïde radial du poignet au fil de son évolution pour remplir cette fonction de pseudo-pouce opposable pour la manipulation du bambou. Le panda géant en possède un à chacune de ses deux pattes antérieures.

 

Le pseudo-pouce, que l'on voit bien sur cette photo, permet au panda de saisir les tiges de bambous,
et lui assure une grande dextérité dans la manipulation de son mets préféré. Il se sert de cette excroissance
osseuse en guise de sixième doigt opposable aux cinq autres. Il convient de ne pas confondre le pseudo-pouce
avec le  coussinet, plus bas, et qui ne remplit pas de rôle pour la nutrition.
Pan Pan au Mount Emei Xianzhi Zhujian Ecological Park - 18 mai 2013 - © Jérôme POUILLE

 

Dans une récente étude publiée dans la revue Scientific Reports, une équipe de chercheurs sino-américaine menée par le Dr Xiaoming Wang, conservateur de la paléontologie des vertébrés au Musée d'histoire naturelle du comté de Los Angeles, s'est penchée sur les restes fossiles d'un pseudo-pouce de l'un des ancêtres du panda, nommé Ailurarctos, retrouvé en 2015 dans la grotte de Shuitangba dans le bassin de Zhaotong dans la province chinoise du Yunnan. Le site géologique est daté du Miocène supérieur, soit il y a environ 6 à 7 millions d'années. Ces restes sont la plus ancienne preuve de l’existence d’un « sixième doigt » chez le panda géant à ce jour. Ils sont aussi la preuve que ce panda ancestral se nourrissait déjà de bambous.

L'étude complète a été publié en accès libre le 30 juin dernier sur le site de l'éditeur de la revue scientifique Scientific reports.

En tant que premier exemple de pseudo-pouce de panda, les scientifiques s’attendaient à ce que ce « doigt » supplémentaire soit encore très primitif. En réalité, il était nettement plus long que ceux trouvés sur les pandas modernes. Cependant, contrairement aux pouces droits de l’ours fossilisé, les pseudo-pouces des pandas d’aujourd’hui sont courbés vers l’intérieur comme un crochet, ce qui facilite une meilleure prise des pousses de bambous.

 

Vue sur la patte avant gauche du panda moderne comparée avec le fragment d'os sésamoïde radial gauche d'Ailurarctos
retrouvé sur le site géologique de Shuitangba. La représentation adopte un angle similaire et une taille relative. © Nature

 

Les chercheurs se sont alors demandés pourquoi ces pseudo-pouces déjà apparus il y a plusieurs millions d'années ne se sont jamais transformés en véritables pouces polyvalents. Dans leur étude, le Dr Wang et son équipe émettent l’hypothèse que la taille du pseudo-pouce s'est retrouvée limitée par la façon dont les pandas se déplacent. Lorsqu’ils ne mangent pas, ils marchent en effet à quatre pattes. Or, la présence d’un véritable sixième doigt pourrait entraver ce mode de locomotion. Le fait de ne rester qu’une simple extension saillante serait donc une sorte de compromis évolutif pour ce pseudo-pouce. « Vous en avez besoin pour saisir, mais vous continuez également à marcher dessus », résume ainsi le chercheur.

Cette adaptation morphologique dans l'évolution du panda reflète donc une double fonction du sésamoïde radial à la fois pour la manipulation du bambou et la répartition du poids. Cette dernière contrainte pourrait être la principale raison pour laquelle le faux pouce du panda n'a jamais évolué vers un doigt complet. Autrement dit, le fait qu'il n'y a pas eu d'allongement supplémentaire du faux pouce dans la lignée des pandas après le Miocène Supérieur suggère qu'une prise adéquate pour le bambou avait été obtenue, c'est-à-dire assez bonne pour saisir une seule tige ou un petit paquet, et qu'un élargissement supplémentaire a été inhibé par une sélection compensatoire pour l'appui et la marche.

 

La fonction de préhension (montrée chez l'individu de droite) du faux pouce d'Ailurarctos, l'ancêtre du panda,
avait déjà atteint le niveau des pandas actuels, alors que le sésamoïde radial dépassait probablement légèrement plus
pendant la marche (vu chez l'individu de gauche) que chez son homologue moderne. © Dessin de Mauricio Antón.

 

Pour autant, les auteurs alertent sur le fait que les archives fossiles sont trop incomplètes pour permettre une compréhension fine du processus évolutif et que des découvertes futures pourraient mettre en évidence de nouveaux éléments.

Déjà certains autres chercheurs se sont montrés peu convaincus par ce raisonnement. Juan Abella, paléontologue à l’Institut catalan de paléontologie d’Espagne, souligne quant à lui que la présence d’un doigt étendu vers l’arrière de la patte n’aurait que peu d’impact sur la locomotion des pandas. Pour l’heure, la question du « pourquoi » est donc encore sujette à débat. La découverte de fossiles supplémentaires pourrait toutefois un jour permettre de trancher. 

Le sixième doigt du panda n'est pas la seule adaptation retenue par l'évolution en réponse au régime alimentaire en bambous. L'an dernier par exemple, des chercheurs avaient déterminé que  l'articulation temporo-mandibulaire avait évolué pour permettre en plus du mouvement traditionnel d'ouverture-fermeture un mouvement latéral de la mâchoire permettant de mettre en contact les cuspides des prémolaires P3 et P4 qui ne le sont pas lorsque l'occlusion est centrale (en l'absence de ce mouvement latéral). Ce mouvement latéral est crucial pour le panda car il lui permet d'éplucher la couche externe des tiges de bambous, couche riche en composés abrasifs et toxiques.

Les autres adaptations anatomiques les plus connues en réponse à ce régime alimentaire spécifique concernent notamment la dentition, le crâne et les muscles de la mastication.

En plus de ces adaptations morphologiques, l'espèce a également développé un panel d'adaptations comportementales, physiologiques et génétiques qui lui permettent de survivre à ce régime si particulier. Par exemple, en 2015, une équipe de scientifiques chinois et anglais avait déterminé que les dépenses énergétiques des pandas étaient exceptionnellement faibles eu égard à leur taille, en partie grâce à la taille réduite de plusieurs de leurs organes vitaux (cerveau, foie, reins, respectivement plus petits de 82,5%, 62,8% et 74,5% qu'attendu pour un mammifère de cette taille) mais aussi grâce à un faible niveau d'activité physique. 

 

A lire :

        > L'articulation temporo-mandibulaire du panda géant spécialement adaptée pour permettre un glissement latéral de la mandibule indispensable pour décortiquer la première peau des tiges de bambous (13 juillet 2021)

        > Le panda géant dépense très peu d'énergie au quotidien, une adaptation à un régime herbivore peu nutritif (7 août 2015)

        > 21 novembre 2011 : Le grand panda possède des bactéries potentiellement capables de digérer en partie le bambou

        > 21 décembre 2009 : Le régime alimentaire si caractéristique du panda géant expliqué par les gènes

        > 14 décembre 2009 : Les scientifiques ont dressé la carte détaillée du génome du panda

 

Pour en savoir plus : Alimentation et adaptations morphologiques